mardi 4 juin 2013

Sur les décombres du Rana Plaza, l'industrie du textile forcée de se réformer


Sous une lumière rasante de fin d'après-midi, trois gros bulldozers avancent lentement au fond d'un trou béant et déplacent avec fracas, grâce à leur pelle géante, d'énormes décombres de béton. D'un côté, un grand pan de ciment laisse deviner les hautes parois d'un immeuble disparu, alors qu'en premier plan git une carcasse de voiture, écrasée, défigurée, par un poids que l'on devine monumental. Devant cette scène d'apocalypse, un militaire au visage épuisé guide, grâce à son talkie-walkie, le conducteur de l'une de ces machines et essaie désespérément de préciser ses ordres par de grands gestes. 
Un trou béant. Voilà tout ce qui reste de cet immeuble
de neuf étages du Rana Plaza. 
Cela fait trois semaines que les acteurs de ce ballet mécanique déploient une énergie colossale pour venir à bout de cet accident sans précédent : le 24 avril dernier, un géant de béton, appelé Rana Plaza, s'est écroulé en quelques secondes. Neuf étages transformés en une bouillie d'à peine trois niveaux. Son effondrement emprisonna soudainement, en ce début de matinée, plus de 3500 personnes. 

Ce soir, juste avant le coucher de soleil, les militaires déployés sur les décombres du Rana Plaza annonceront la fin des opérations de secours. Ils auront déblayé ces tonnes de restes de ciment, morceaux assassins devenus inutiles. 2438 personnes auront été sauvées. 1127 sont mortes. Beaucoup n'ont jamais été retrouvées.

Les causes de ce dramatique effondrement sont aussi multiples que prévisibles : l'immeuble ne devait compter que cinq étages, le propriétaire était en train de construire le neuvième. Il devait n'accueillir que des bureaux, et non ces cinq ateliers de textile, leurs centaines de machines à coudre vibrantes et les lourds générateurs d'électricité pour les faire tourner. Tout cela, soutenu par des murs d'un béton mou et de faible qualité, élevé sur d'anciens marais. La recette du désastre était complète. 

De ces décombres macabres nait cependant, aujourd'hui, un espoir : les secousses engendrées par cet écroulement de ciment a frappé l'Occident, qui feignait jusqu'à présent d'ignorer les conditions déplorables de fabrication de ses vêtements. 

Le 1er juin dernier, 38 grandes marques d'habillement -comme Carrefour, H&M et Zara- ont signé un accord contraignant qui les obligera à instaurer des contrôles indépendants dans les usines de leurs fabricants bangladais ; ces marques devront maintenant se tenir garant de la fiabilité de ces bâtiments, assurer que les mesures anti-incendie sont respectées. Et pourront être poursuivies en justice en cas d'accident. 
Voici les détails de l'accord en question (en anglais). 

Ces 38 marques ne représentent qu'un cinquième des donneurs d'ordre dans ce pays, devenu en quelques années le deuxième producteur de vêtements au monde, après la Chine. Mais c'est un pas encourageant et inédit au Bangladesh. 

Je vous propose de partir à Dacca, et d'écouter mon enquête sur cette réforme qui naît sur les décombres du Rana Plaza, afin de savoir ce qui peut vraiment changer. Et si nous pourrons garantir que nos vêtements ne sont pas entachés du sang des ouvriers bangladais. 

Pour aller plus loin, s'informer ou s'engager, voici quelques liens :

Clean Clothes Campaign, qui a mené campagne et fait pression pour le passage de l'accord.
Leur partenaire en France, Peuples Solidaires
Enfin, un rapport passionnant et effrayant du groupe International Labor Rights Forum sur les conditions de travaille des ouvriers du textile. 


Quelque minutes avant de mettre fin aux opérations de secours,
photo-souvenir de ceux qui ont oeuvré
pendant trois semaines pour sauver ceux qu'ils pouvaient.