mercredi 30 avril 2014

Nirbhaya : Une pièce de théâtre pour briser le tabou des viols


©William Burdett-Coutts
C'est l'histoire d'un crime ordinaire qui aurait pu sombrer dans l'oubli d'une nuit de décembre... Mais quelque chose, dans l'horreur de ce viol mené par 5 brutes, ou dans le destin tragique de celle qui les a combattus, a empêché cette amnésie collective. Les rues se sont remplies d'une foule révoltée, et leur cri a réveillé les mémoires réprimées de tous ces traumatismes individuels enfouis pendant des années dans la bienséance. Ce mouvement de catharsis porta un nom, celui donné à cette jeune étudiante sacrifiée : Nirbhaya. En hindi : « Celle qui n'a pas peur »

Ce surnom symbolique a survécu à cette femme. Il est aujourd'hui le titre d'une pièce de théâtre-témoignage qui vient d'être présentée avec succès en Inde. Sur scène, cinq actrices présentent sans pudeur leur propres histoires d'agressions sexuelles : depuis l'attouchement traumatisant d'une fille de neuf ans par un voisin au viol collectif et violent dans une rue de New York, en passant par l'effrayant témoignage d'une femme, le visage meurtri, brûlée à l'acide par ses beaux-parents à cause d'une dispute sur la dot. 

Cette vérité, dévoilée dans l'obscurité d'une salle de théâtre, électrifie le public. Ce message authentique, glacial et poignant, cherche à créer un deuxième électro-choc : réveiller les mémoires de chaque spectateur, qui est une victime potentielle de violences sexuelles. En Inde, on estime qu'un enfant sur deux a subi un attouchement ou un viol. 

Pour les aider à formuler ces mémoires enfouies, les actrices s'assoient sur scène, après chaque représentation, pour recueillir les paroles intimes de ces spectateurs secoués. Il n'était pas rare, alors, d'entendre des personnes se souvenir soudainement, ou révéler pour la première fois, des violences qu'ils ou elles avaient préférer oublier. 

La metteur en scène, Yaël Farber, originaire d'Afrique du Sud, a déjà utilisé cette forme de théâtre-vérité pour libérer la parole des victimes de l'apartheid. 

L'ampleur et l'acceptation criminelle des violences sexuelles en Inde mérite sans aucun doute de tels procédés pour permettre à la société d'avancer vers la réconciliation des genres. 

Voici mon reportage autour de cette pièce émouvante. 


"Nirbhaya" a reçu le prix pour la Liberté d'expression, décerné par Amnesty International. 

vendredi 11 avril 2014

Elections législatives : Le vent hindouiste balaiera-t-il les Gandhi ?

Rahul Gandhi, débordant de dynamisme,
mais peu convaincant dans le discours. ©Sébastien Farcis 
Rien ne va plus dans la maison Inde. Le peuple ne répond plus aux promesses populistes d'antan, le respect des valeurs flanche. La famille Gandhi est aux abois. Trois des membres de l'une des plus puissantes dynasties politiques d'Asie sont partis sur les routes de la campagne pour essayer d'éviter un naufrage annoncé : Sonia, la mère et présidente du parti du Congrès, Priyanka, fille populaire mais habituellement en retrait, et surtout Rahul, qui parcourt depuis plusieurs semaines, inlassablement, les cieux indiens avec son hélicoptère blanc, et exhorte les électeurs, avec le dynamisme de ses 43 ans,  d'offrir au clan une nouvelle chance.

La réponse de ce peuple est souvent polie, timide, voire agacée : "il y en a assez de la corruption, dit l'un d'entre eux, à Ghaziabad. Ils lancent plein de bonnes subventions, mais l'argent, ce sont les fonctionnaires et les élus qui se le gardent ! Cela va tuer le Congrès". 

Le bel hélicoptère immaculé
de Rahul Gandhi, arrivant au meeting. ©S.F.
A la tête de la coalition gouvernementale depuis dix ans, le parti du Congrès a été accusé d'être impliqué, d'avoir toléré ou couvert de nombreuses affaires de corruption organisées par ses alliés. L'opposition n'a cessé de faire de chacune de ces révélations un nouveau cheval de combat, en perturbant le parlement pour créer un drame médiatique.  

Au quotidien, ce problème touche une corde sensible chez les électeurs, qui doivent payer des pots-de-vin outranciers afin d'obtenir un acte de naissance, changer leur passeport ou enregistrer leur bail.  Le fait que le gouvernement n'ait pas efficacement lutté contre ce fléau prouve qu'il s'en accommode, estiment beaucoup. Et le fléau est réel: l'Inde est classé 99e sur 177 pays par son niveau de corruption.

Le vent tourne donc, et c'est une tempête qui est sur le point de balayer le Congrès. Un "grand frais" qui s'appelle Narendra Modi. Ce leader hindouiste du parti de droite du BJP surfe sur la "vague" du changement avec une certaine efficacité : il vend l'idée de son modèle du Gujarat, cet Etat industriel de l'ouest de l'Inde qu'il dirige depuis 2001 avec un certain succès: une croissance de près de 10% par an sur la dernière décennie, des infrastructures de bonne qualité; de l'eau, de l'électricité disponibles en continu dans un pays où cela fait figure d'exception. 

Narendra Modi, plus crédible économiquement,
ici devant la convention des commerçants. ©Sébastien Farcis 
Ce bilan doré attire une population angoissée par une économie en berne, dont le taux de croissance du PIB a été divisé par deux en deux ans, et où les investissements ralentissent de manière inquiétante. La promesse d'un nouvel eldorado éblouit en partie ces électeurs, et permet de dissimuler les implications supposées et très probables de Narendra Modi dans les pires pogroms anti-musulmans qu'ait connu l'Inde ces dernières années, et qui ont fait plus de 1000 morts sous le contrôle de cet homme en 2002. 

Pour découvrir l'ascension vertigineuse de Narendra Modi vers le pouvoir, vous pouvez lire ce reportage que j'ai réalisé entre le Gujarat et New Delhi, ou écouter sa version audio, plus complète. 

Suivez aussi Rahul Gandhi dans sa campagne, depuis son hélicoptère jusqu'aux terrains difficiles de la banlieue de Delhi. 

Et les jeunes, dans tout ça ? La population indienne est extrêmement jeune, après tout ! Près d'un électeur sur six à moins de 23 ans, et votera donc pour la première fois à des législatives... Il fallait donc leur demander ce qu'ils en pensaient, de ces candidats. C'est fait ici