mardi 20 mai 2014

La vague Modi a emporté le pays



Les lieutenants du BJP prévenaient qu'une vague en leur faveur allait les porter au pouvoir. C'est en fait un raz-de-marée qui a déferlé ces dernières semaines et a définitivement balayé les élus de Delhi central, les aristocrates de la famille Gandhi et, surtout, tout un style politique féodal. Pour installer Narendra Modi au pouvoir. 

C'est une révolution silencieuse à plusieurs niveaux : comme l'a justement dit Narendra Modi lors de son premier discours de vainqueur, depuis son estrade familière de Baroda, au Gujarat, c'est la première fois que "le pays sera dirigé par un homme qui est né après l'indépendance" (Il est né en 1950). La première fois, aussi, qu'un "autre parti que le Congrès obtient une majorité absolue à la Chambre basse". Un changement d'époque qui s'est opéré de manière tellement radicale qu'il a en effet pris les airs d'une insurrection pacifique. 

La moitié de la population a moins de 25 ans, et cette énorme partie de l'électorat a exprimé sa colère envers le clan des Gandhi qui a continué, lors de cette campagne, à leur réclamer leur vote comme un droit. "Si vous entendez Rahul ou Priyanka Gandhi, on a l'impression qu'ils détiennent un droit sur le pays au nom des sacrifices que la famille a faits. La nation leur doit ces voix. Ceci est une notion tellement féodale", analyse Shiv Visvanathan, le co-doyen de l'école de politique publique de Sonipat.

Le Congrès, tel Louis XVI en fin de règne, a donc été décapité par ces électeurs. Il se retrouve avec 44 députés dans l'assemblée. Près de cinq moins que dans la Chambre précédente, à peine plus que l'ADMK, qui a obtenu 37 sièges en ne se présentant que dans son Etat du Tamil Nadu ! Le Congrès semble maintenant pouvoir occuper un coin près du radiateur, en quelque sorte, comme une antiquité gardée en souvenir d'une grandeur passée. Avant, peut-être de se renouveler. 

Face à eux, Narendra Modi est un homme de basse caste, originaire d'une famille modeste de la province et représente l'exacte anti-thèse du clan dynastique des Gandhi, brahmanes, riches, qui ne sortent de Delhi qu'une fois tous les cinq ans pour aller chercher des voix. Et ont accaparé le pouvoir sur trois générations successives. 

Puis il y a eu l'attraction pour le programme du BJP et surtout le message du Ministre en Chef du Gujarat, qui a réussi à briser les barrières entre régions et castes en parlant développement économique et emploi. Et ne cédant pas-  en dehors du cas de Muzaffarnagar - à la stigmatisation d'une communauté pour en attirer une autre. 

Narendra Modi a promis la relance économique, alors que le taux de croissance a été divisé par deux en deux ans (pour tomber à 4,7 % cette année), la fin de la corruption, après dix ans de scandales impliquant le Congrès et ses alliés et l'accélération des procédures administives pour faciliter les affaires dans un pays qui est l'un des plus compliqués à aborder pour les entreprises. 

La dimension quasi-présidentielle de la campagne a également permis de galvaniser les électeurs autour de ce nom. Cet homme charismatique, infatigable, omniprésent, a parcouru 300 000 km en neuf mois pour donner des discours dans plus de 450 meetings électoraux, en plus de rediffusions en simultané par hologrammes 3D. Le magazine India Today a calculé qu'il a ainsi pu toucher 234 millions de personnes, soit un électeur sur quatre. Démentiel. 

Mais cette campagne polie et finement menée ne peut faire oublier le passé sulfureux de ce soldat  nationaliste hindou et d'un parti largement influencé par l'extrême droite hindouiste du RSS. La question est donc : Quel visage présentera Narendra Modi ? Saura-t-il maintenir le cap séculier de la croissance économique pour tous, ou cédera-t-il, si cela se corse, aux tentations communautaires ?

Des faits montrent, d'abord, que cette campagne n'a pas été aussi "propre" que la barbe blanche bien taillée de Modi. Dans l'Etat stratégique de l'Uttar Pradesh, le BJP a ainsi organisé l'un des pires pogroms anti-musulmans de ces dernières années, faisant plus de 60 morts et 50 000 déplacés, afin de récolter le vote hindou. Et cela a fonctionné : le BJP n'avait aucune assise dans cette province. A présent, les deux candidats du parti, pourtant accusés d'avoir provoqué ces violences, ont été élus. 

Voici quelques-uns des premiers mots prononcés par Narendra Modi devant la foule de Baroda, où il a été élu avec 550 000 voix d'avance. Un homme qui se veut rassembleur. Des paroles qu'il faudra garder et ressortir au moment où les temps seront plus durs et les promesses oubliées. 


Extrait du discours de Narendra Modi

« Je vous remercie, vous, le peuple de Baroda. C'est une réussite inédite dans l'histoire de l'Inde, et c'est grâce à vous qu'elle arrive. Vous avez eu confiance dans le fait que ce pays peut être mieux dirigé sans le Congrès. Depuis l'indépendance, c'est la première fois que l'Inde sera gouverné par un seul parti, sans coalition, qui n'est pas le Congrès. Cela sera aussi la première fois que des hommes qui sont nés dans une Inde indépendante dirigeront cette nation. 

Certes, nous n'avons pas eu l'honneur de nous battre contre les Anglais, d'aller en prison ou de mourir pour la liberté. Mais nous avons à présent l'opportunité de vivre et de nous battre pour ce pays. Notre parti a été créé pour rassembler tout le monde autour d'un nationalisme indien, et cette idée a aujourd'hui vaincu. Mais, mes frères et mes sœurs le gouvernement ne favorisera aucun groupe ou parti, il travaillera pour tout le pays. Nous allons essayer de faire progresser tout le monde, sans partialité ni discrimination ».

L'histoire oublie trop facilement les perdants. Alors voici un hommage bien mérité au Premier ministre sortant, Manmohan Singh, qui a oeuvré de manière honnête pendant dix ans à la tête du pays.

Enfin, je ne résiste pas à vous montrer l'une des vidéos issue de la série de parodie "So Sorry", qui a ponctuée toute la campagne avec un humour fin et décapant. Celle-ci lance Modi, tel un baron mafieux sorti d'un film de Bollywood -pastiche du film Don, avec Amitabh Bachchan-, dans une danse de la victoire délirante. J'adore !! 


mercredi 7 mai 2014

La guerre pour les toilettes est déclarée !

Il y a un moment où on peut dire qu'il y en a marre ! Les villes indiennes s'agrandissent, la classe moyenne ne cesse de croître, mais dans l'arrière-cour de ce sous-continent, dans les villages et jusqu'aux banlieues des mégalopoles, les acteurs de cette économie prometteuse manquent d'un équipement essentiel : des toilettes.

Et nous ne parlons pas ici de quelques exclus, laissés sur le bord du chemin de la croissance, mais de la moitié de la population indienne. 52% des foyers, exactement, n'ont pas de toilettes chez eux et doivent généralement se soulager en plein air, cachés dans une nature peu sûre, à la merci de bêtes sauvages ou de violeurs, ou au petit matin, sur les lignes de chemin de fer. 

Cette pratique avilissante est également source d'infections intestinales et de pollution des nappes phréatiques. En plus d'être nauséabonde. 

L'Unicef a donc lancé une campagne décapante pour mobiliser la population autour de ce sujet délicat et tabou : elle se concentre autour d'une vidéo qui brise la gêne dans un feu d'artifices délirant.



Le site de cette campagne nous rappelle des chiffres affolants : une école sur sept n'a par exemple pas de toilettes en Inde, ce qui met en danger la santé des enfants ou les pousse à arrêter d'y aller.    

Voici en quelques mots et en musique mon résumé de cette campagne.




Sinon, dans une version beaucoup plus radicale, vous avez aussi le "Pissing Tanker", ou les Robin des Bois contre les pisseurs en public. Ils dévalent les rues de Bombay, montés sur leur destrier de fer jeune... alors attention à vous s'il vous prend une envie trop pressante. Vous risquez de le regretter !



 

Et pour aller plus loin et comprendre l'ampleur du problème en Inde et le manque d'efforts réalisés par les autorités, voici un reportage très intéressant, et très visuel, sur le sujet.