mercredi 25 novembre 2015

Népal : la reconstruction par les méthodes traditionnelles

Le 25 avril dernier, le Népal était ravagé par un tremblement de terre d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter, le pire qu’ait connu le pays depuis 80 ans. Il a été suivi par une autre secousse d’une intensité similaire, le 12 mai. Selon l’ONU, 8 891 personnes sont décédées et 605 000 maisons sont détruites. Six mois après, la reconstruction s’avère difficile pour ce pays pauvre, au relief escarpé. Ceux qui ont en les moyens ne savent pas comment rebâtir leurs maisons pour qu’elles soient plus résistantes. Une équipe d’ingénieurs spécialisés a donc commencé à les former. Elle leur enseigne des techniques efficaces et utilisées par leurs ancêtres pour résister aux humeurs de la Terre. Reportage.




La vieille ville de Charikot, encastrée dans la vallée de Dolakha, semble avoir été frappée par une pluie de météorites. Les maisons traditionnelles en pierre, de deux ou trois étages, sont éventrées sur leurs flancs. Leur toit est ouvert aux vents himalayens. Les habitants errent dans ses rues aux lignes imprécises, comme des rescapés d’une attaque furtive. C’est à quelques kilomètres d’ici que se trouve l’épicentre du deuxième séisme, qui a secoué la région le 12 mai avec une magnitude de 7,3, et a abattu les bâtiments déjà fragilisés lors du premier tremblement du 25 avril.
La belle bâtisse de deux étages de Ramchandra Srestha avait bien tenu le premier choc. Ingénieur à la retraite, celui-ci avait pris son temps pour revenir de Katmandou, la capitale, située à 130 kilomètres vers l’ouest et à cinq heures de route. Mais ses espoirs d’y revivre se sont brisés devant ses yeux, ce 12 mai, vers 13 heures.
« Nous étions en train de préparer le thé chez nos voisins quand le sol a tremblé, se souvient-il, le visage crispé. La petite maison d’â côté, où une dame vendait des boissons, s’est écroulée. Et nous avons vu de la fumée s’élever dans toute la vallée. C’était les maisons en pierre et boue qui tombaient ». La sienne est aujourd’hui lézardée de fissures et un énorme trou est apparu sous la toiture. Dans ce seul district, 50 000 maisons se sont effondrées, dont quasiment toutes celles des campagnes.
Trop cher et difficile d’utiliser du béton
Aujourd’hui, Ramchandra Shrestha habite avec sa femme dans une sorte de cabane de 9 m2, construite avec des planches de bois légères et couvertes de plaques en tôle ondulées. Ces abris de fortune, mal isolés pour l’hiver qui approche, ont poussé dans toutes les provinces sinistrées du nord de Katmandou. Ramchandra Shrestha aimerait pouvoir rebâtir rapidement sa maison. Mais il attend que la mairie édicte des règles précises de reconstruction. Dans cette vallée ravagée, tous se demandent comment reconstruire de manière plus solide. Pour la majorité, il est trop cher et difficile d’utiliser du béton. Il y a peu de routes praticables vers ces villages et il faut donc monter les sacs de ciment, de sable et gravats à dos d’homme.
Pour l’ingénieur Bijay Upadhyay, de la Société nationale pour les techniques sismiques(NSET), cette énigme a une réponse simple : il faut revenir aux techniques traditionnelles. «Le béton n’assurera pas la fiabilité des constructions, car beaucoup de bâtiments en béton se sont également effondrés, explique calmement ce professionnel d’une cinquantaine d’années. Ce qui compte n’est donc pas le matériau, mais la méthode ». Il a initié, dans ce district de Dolakha, des formations de maçons pour leur apprendre comment leurs ancêtres se protégeaient des secousses. Des techniques abandonnées par des générations qui avaient oublié ce danger : le précédent important séisme remontait à 1934.
Quelque 350 maçons formés et sensibilisés à des techniques traditionnelles
« Il faut d’abord tester le sol pour s'assurer qu’il est assez compact, explique Bijay Upadhyay. Le bâtiment doit ensuite avoir des petites fenêtres. Les portes et les fenêtres doivent être éloignées des angles et compter une double armature, l’une sur le mur extérieur et l’autre sur l’intérieur. Enfin, tout le bâtiment doit être resserré par des troncs de bois attachés les uns aux autres pour renfermer la structure. Ces différents éléments créent un effet de boite. Ainsi, si vous le faites trembler, il va onduler comme un arbre, mais ne pas s’effondrer ».


Le NSET a formé 350 maçons dans le pays, à raison de cours d’une semaine, depuis les séismes et le lancement de ce programme, soutenu par l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID). La mairie, qui travaille en partenariat avec eux, assure qu’elle suivra la reconstruction en inspectant surtout les premières étapes : la pose des fondations et des ouvertures. Après quoi, elle s’en remettra aux propriétaires, qu’elle sensibilisera à ces techniques.
D’autres organisations ont initié des apprentissages express dans le pays, mais il n’est pas sûr que cela suffise face à un manque général d’expertise : « Notre code national de construction est calqué sur l’anglais et il compte très peu d’éléments sur les risques sismiques », déplore Bijay Upadhyay. De plus, le pays manque cruellement de maçons disposant d’une formation initiale. Le gouvernement a annoncé vouloir en entraîner 50 000, mais le lancement tarde par manque d’impulsion.
« Si un prochain séisme survient, tout retombera »
L’autorité de reconstruction, créée fin juin pour gérer les 4,1 milliards d’euros promis par les donateurs internationaux, compte un directeur, mais pas de structure opérationnelle. Les priorités politiques ont changé : le 20 septembre dernier, les parlementaires ont en effet promulgué une nouvelle constitution, après sept ans de discussions, donnant naissance à une autre crise. Les populations des plaines, longtemps marginalisées, ont contesté la division des nouveaux Etats fédérés. Depuis plus de deux mois, elles mènent une grève qui bloque une partie de l’approvisionnement national en essence.
Le gouvernement tarde à négocier avec ces populations et cette impasse se transforme en une dangereuse paralysie dans le chantier de reconstruction. « Les donateurs commencent à faire du bruit, alerte Renaud Meyer, directeur de l’agence des Nations unies pour le développement au Népal, car l’argent qu’ils ont promis n’est pas dépensé. Ils se demandent donc s’ils ont bien fait de donner tout cet argent au gouvernement au lieu de le répartir. »
Cet immobilisme pourrait avoir des conséquences sérieuses, prévient-il : « La mobilisation de ces bailleurs de fonds risque de s’affaiblir et d’autres crises internationales vont nécessiter ces fonds. Les promesses qu’ils ont faites ne vont donc pas forcément se matérialiser par des financements concrets et nous n’aurons alors plus les moyens de donner accès aux populations aux technologies fiables de reconstruction. Beaucoup de ces sinistrés vont donc reconstruire comme ils l’ont fait auparavant et si un prochain séisme survient, tout retombera. Et on refera un bond en arrière comme on a fait en avril et en mai. »
Un article publié le 19 octobre sur le site de RFI 

jeudi 19 novembre 2015

Au Népal, la lutte ignorée des Madhesis


Cet article, publié dans Libération, date de début octobre. Mais la situation n'a malheureusement pas beaucoup changé. Ce qui veut dire qu'elle a empiré. 
A la frontière entre l’Inde et le Népal, dans un no man’s land de 300 mètres de long au niveau de la ville de Birganj, se joue un bras de fer dont les conséquences économiques sont déjà pires que celles des séismes d’avril et mai. Là, une tente multicolore trône en plein milieu du pont qui surplombe la plaine asséchée du Teraï. Une centaine de personnes sont amassées sous son ombre, certaines assises, la plupart debout, appelant au rassemblement : «Vive le Madhesh !» scandent-elles. Depuis le 25 septembre, ils empêchent le passage des camions à la frontière.
En coupant cette ligne de vie de l’économie nationale, les Madhesis ont trouvé un moyen efficace de se faire entendre de Katmandou, à 170 kilomètres de là : 60 % des importations du pays passent par cette route, dont l’essentiel de l’essence utilisée dans le pays. «L’Etat est sourd à nos demandes. C’était le seul moyen pour qu’il nous écoute», affirme Ram Kisore Yadav, du bureau national du Forum socialiste fédéral, assis au milieu de la foule. Et le message est clairement passé : à Katmandou, il faut à présent faire deux jours de queue pour obtenir 10 litres d’essence.
Le terme «madhesi» englobe une multitude de groupes ethniques rassemblés dans la plaine du Teraï, située à la frontière avec l’Inde. Ils représentent environ 27 % de la population mais ont longtemps été exclus des responsabilités administratives par l’élite des montagnes de Katmandou. «Nous sommes traités comme des citoyens de troisième zone», lance un paysan de 54 ans venu protester à Birganj. «Quand je postule pour un emploi dans la fonction publique, le fonctionnaire est un brahmane des montagnes, et il me demande des papiers supplémentaires pour confirmer que je suis bien népalais, explique un étudiant en sciences politiques excédé. Nous sommes encore dans un système brahmanique où une petite minorité impose sa loi à la majorité.»
Quotas.
La colère contre cette discrimination ancestrale a ressurgi à la veille de la promulgation de la nouvelle Constitution, le 20 septembre, attendue depuis la chute de la royauté en 2007. Les Madhesis et beaucoup d’habitants «marginalisés» des plaines, comme les Tharus et les intouchables, espéraient que cette loi fondamentale leur offrirait l’occasion d’une «renaissance». En 2008 déjà, après une première révolte réprimée dans le sang, les élus de l’Assemblée constituante avaient garanti qu’ils obtiendraient un Etat fédéré propre le long de la frontière indienne et un renforcement des mesures de discrimination positive pour entrer dans la fonction publique, l’armée et le Parlement. Des instruments essentiels pour corriger un déséquilibre qu’illustre Dipendra Jha, avocat auprès de la Cour suprême et responsable du Centre pour la justice au Teraï : «A Janakpur, en plein cœur du pays madhesh, il y a eu 45 chefs de district en cinquante ans ; 43 étaient d’une seule communauté [des castes des montagnes, ndlr] et 2 étaient madhesis. C’est ma ville natale, mais quand je vois ces noms de famille, je me demande si nous avons été colonisés.»

La Constitution, entérinée dans l’urgence au lendemain des séismes dévastateurs d’avril et mai, ne respecterait pas entièrement les promesses de 2008, selon les responsables madhesis. Leur terre est écartelée entre cinq provinces sur les sept créées dans la nouvelle République fédérale. La loi fondamentale parle d’«intégration» des peuples marginalisés mais pas selon la proportion de leur population, comme cela était le cas dans la Constitution intérimaire. Enfin, les mesures de discrimination positive intègrent également les castes dominantes dans l’administration, ce qui atténue l’effet des quotas. Cette Constitution a cependant été adoptée par 85 % des 598 membres de l’Assemblée constituante, ce qui lui offre une forte légitimité démocratique.
Les trois principales forces politiques, le Congrès, les maoïstes et les marxistes-léninistes, ont refusé de dessiner une carte fédérale basée sur les seules lignes ethniques, au motif que cela risquerait d’entraîner de nouvelles revendications et divisions au sein de l’Etat himalayen. Et ils disent plutôt chercher à mélanger davantage leur composition tout en permettant aux régions des plaines de bénéficier des ressources hydrauliques des collines.
«Populisme».
«La défaite des revendications des partis madhesis reflète donc leur échec électoral, avance Kanak Mani Dixit, rédacteur en chef de l’Himal Southasian, à Katmandou. Les manifestations actuelles sont menées par des politiciens qui ont perdu les élections pour l’Assemblée constituante en novembre 2013. Ils avaient fait campagne pour une démarcation identitaire des régions et ont été battus par ceux qui militaient pour des regroupements économiques. Le choix du peuple était clair, mais ces politiciens redoublent de populisme pour revenir.» Cet observateur reconnaît la frustration et le droit de ces populations marginalisées à obtenir davantage de reconnaissance, mais il affirme que les élus se sont déjà engagés, au moment de la promulgation, à accroître la représentation proportionnelle de ces communautés au Parlement.

  Dans la région de Nuwakot. Photo Stephen Dock. ACF
Les révoltés des plaines ont cependant perdu toute confiance dans ces caciques, d’autant plus que la réponse régalienne la plus concrète a pris la forme de tirs : 31 civils, dont un enfant de 18 mois, ont été tués par la police lors de la répression des manifestations qui ont débuté il y a près de deux mois. Certains abattus à bout portant ou d’une balle dans la tête, témoignant du dédain porté à ceux qui sont considérés comme des «mouches», selon l’expression de Khadga Prasad Oli, président des marxistes-léninistes et potentiel futur Premier ministre.
L’Inde a de plus soufflé sur les braises du Madhesh en refusant d’envoyer ses camions d’essence par d’autres points de passage, soutenant implicitement la révolte et déstabilisant Katmandou en asphyxiant son économie. New Delhi, qui a une forte emprise sur cette nation cousine et hindoue, a exprimé son «inquiétude» face aux manifestations embrasant la région frontalière qui compte beaucoup d’Indiens. Mais son implication a été bien plus poussée. «L’Inde a deux intérêts au Népal : contrôler la frontière et obtenir des ressources hydrauliques pour alimenter ses villes et garantir l’irrigation. Et je pense que New Delhi se sert des Madhesis pour favoriser ses intérêts.»Dimanche, les dirigeants indiens ont annoncé qu’ils reprendraient les exportations, mais quasiment aucun camion n’était sur la route lundi.
Sur le terrain, la situation est dans l’impasse : aucune négociation formelle entre les dirigeants du Sud et ceux de la capitale n’a été entamée, et les militants continuent à montrer une solide détermination.
Corridor.
L’économie népalaise pourrait avoir beaucoup de mal à se relever de ce bras de fer. Ces plaines constituent le poumon économique du pays : le seul corridor industriel entre Birganj et Simra comprend 60 % des industries du pays, soit plus de 2 000 entreprises fabriquant ciment, acier, vêtements ou distribuant du riz. Et toutes sont fermées depuis le début du mouvement. «C’est une situation inédite et catastrophique. Les chefs d’entreprise vont se retrouver à la rue», prédit Om Prakash Sharma, le président de la chambre de commerce de Birganj. Le vice-président de la Fédération des chambres de commerce népalaise, Shekhar Golchha, confirmait dimanche dans une interview à la presse locale ce scénario d’apocalypse : «Après le séisme, le PIB a crû d’environ 3 % et il est actuellement en déclin, ce qui pourrait nous faire plonger dans la récession.»